La réception du film Paths of glory (Les sentiers de la gloire), réalisé par le jeune Stanley Kubrick, et son accueil en France en 1958, ont longtemps été confinés au champ de l’histoire du 7ème art, ou plus marginalement, à celui de la censure cinématographique[1].
Les liens entre cinéma et histoire, qui offrent un regard plus achevé pour ce genre d’œuvres[2], n’ouvrent que depuis très récemment des pistes nouvelles dont les plus fécondes nous ramènent à deux temporalités : celle qui ancre Les sentiers de la gloire dans la mémoire spécifique des fusillés de la Grande guerre[3] et celle, plus large, des représentations cinématographiques de la première guerre mondiale et de leur contexte de réception[4].
La relecture de critiques contemporaines du film et d’articles de presse, la publication récente d’études sur la réception du film en Belgique et en Suisse[5], la mise au jour de sources nouvelles [6], comme de nouveaux questionnements nous amènent aujourd’hui à élargir les horizons d’étude, à percevoir des temporalités nouvelles, entrelacées et inscrites dans des échelles multiples.
Le film de Kubrick, bien malgré lui, bouscule en effet une société française en pleine mutation et une « puissance » internationale en passe de ne plus l’être dans les années 1950.
[1] Les auteurs d’ouvrages d’histoire du cinéma, à l’instar et dans la lignée d’un Sadoul, lui préfèrent souvent Orange mécanique (1971) ; les biographes du réalisateur lui consacrent au mieux un chapitre, mais alors le moins épais ; les critiques de l’esthétique kubrickienne préfèrent avancer Barry Lindon (1975), 2001 : a Space Odyssey (1968), ou The Shining (1980) ; les analystes des films à scandale ont une prédilection pour Lolita (1962) ; ceux des films de guerre pour Dr. Strangelove (1964) ou Full Metal Jacket (1987)… Mais où sont passés Les sentiers de la gloire pourrait-on s’interroger, pour ce film jamais vraiment historicisé ni étudié ?
[2] Marc Ferro, dans Cinéma et histoire, (Denoël/Gonthier, 1977) l’évoque à peine et son commentaire, non amendé dans les rééditions successives, est aujourd’hui largement daté. Quant au bel ouvrage d’Antoine de Baecque, L’histoire-caméra (Paris, Gallimard, 2008), Les Sentiers de la gloire, en 488 pages, ne sont pas même cités…
[3] Cf Nicolas Offenstadt, Les fusillés de la Grande guerre et la mémoire collective (1914-2009), Odile Jacob, 1999 puis 2009 [« L’affaire Kubrick », p 124-128 dans le chapitre III « Le fusillé entre réalité et fiction »]
[4] Laurent Véray, La Grande guerre au cinéma. De la gloire à la mémoire, Ramsay, 2008. Les pages consacrées au film « Les Sentiers de la gloire (1957) : une œuvre charnière », p 144-159, chapitre III : « Une représentation porteuse de contestation (1947-1989) » développant l’analyse présentée par le même auteur en 2002, « Le cinéma américain constitue-t-il une menace pour l’identité nationale française ? Le cas exemplaire des Sentiers de la gloire », dans Martin Barnier et Raphaëlle Moine (ss dir), France/Hollywood : échanges cinématographiques et identités nationales, L’Harmattan, 2002, p 175-199.
[5] Pour la Belgique, voir Catherine Lanneau, « Quand la France surveillait les écrans belges : la réception en Belgique des Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick », Histoire@Politique, 2/2009 (n° 8), p. 91-91.
URL : http://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2009-2-page-91.htm
Pour la Suisse, Hadrien Buclin, « Stanley Kubrick entre la France et la Suisse : le film Les sentiers de la gloire interdit », dans Guerres mondiales et conflits contemporains n°253, PUF, 2014/1, p 101-113 et Roland Cosandey, « Les Sentiers de la gloire, 1958-1970. Chronique d’une interdiction », avril 2012, 25 p. Dossier mis en ligne sur le site de la Cinémathèque suisse. URL : http://www.cinematheque.ch/documents-de-cinema/complement-de-programme/les-sentiers-de-la-gloire-interdit/
[6] Celles des Archives nationales, du CNC et du Quai d’Orsay en France, celles, personnelles, de Stanley Kubrick au Royaume-Uni, celles de la société Bryna Productions de Kirk Douglas aux Etats-Unis ou encore du fonds Walker en Italie.