Un ouvrage très riche peut servir de pistes aux professeurs qui souhaiteraient envisager le thème du Concours National de la Résistance et de la Déportation 2014-2015 (« La libération des camps nazis, le retour des déportés et la découverte de l’univers concentrationnaire ») à travers le prisme des représentations et des médias dans le cadre plus large de la Libération en Europe.
Les médias confèrent en effet aux faits leur statut d’événement et leur puissance de résonance. Cet ouvrage, qui rassemble les contributions du colloque organisé conjointement par le CHCSC (Centre d’Histoire culturelle des sociétés contemporaines) de l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelynes et l’INA du 14 au 16 avril 2005, montre comment, en parallèle des faits, les médias (journaux, photographies, radio, cinéma, actualités filmées, affiches) ont largement contribué à la construction de l’imaginaire de la Libération, à commencer par le « Jour de victoire » (titre en Une de Libération, le 8 mai 1945), en images et en sons.
Il n’y a ainsi « pas d’événement sans médias », commente Christian Delporte, par ailleurs directeur scientifique du Trimestriel
Le Temps des médias. Revue d’Histoire, cheville ouvrière de ce colloque avec Denis Maréchal de l’INA.
Deux séries de questions sous-tendent les denses et fructueuses interventions de ce colloque international :
quelle(s) lecture(s) donne(nt) les médias des Libérations de l’Europe, car un emploi uniforme n’aurait pas de sens : Etats et populations ont vécu diversement leurs sorties de guerre.
quelle est la part prise par ces médias dans la construction d’une mémoire de la Libération depuis 50 ans ? quel usage a été fait des images d’archives ? pour quelle(s) interprétation(s) ? la recherche récente de la source inédite, en particulier en matière de documentaire à la télévision, exhumant par exemple des films en couleurs, répond-t-elle à une démarche historique… ou commerciale ?
L’Europe libérée au prisme des médias se décline ici en cinq temps équilibrés et fort bien charpentés.
Le premier axe (« La Libération de l’Europe : propagande et information ») convoque trois vecteurs pour éclairer l’état d’esprit qui préside aux heures antérieures à la Libération proprement dite : les caricatures (Stéphanie Krapoth), la radio (Muriel Favre) et les affiches (René Dickason). Comment les uns et les autres ont contribué à préparer la mobilisation nationale et la reconstruction : la presse de la Résistance, la BBC mais aussi la radio nazie, les campagnes d’affichages… Patrick Facon appréhende la façon dont les bombardements qui affectent les civils français en 1944/45 (plus de 11% des 600 000 pertes directes de la guerre) sont perçus par la propagande de Vichy, de paris, des Alliés.
La Libération est aussi le temps de la recomposition des médias (« Les médias : transitions, reconstructions ») : un temps de reprise en main sur fonds concurrentiel politique intense. Que faire des médias anciens, pour nombre d’entre eux outils de la collaboration dans l’Europe désormais libérée ? En France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, les intervenants développent l’idée qu’on s’accommode ou non des structures anciennes en fonction de l’attitude des médias pendant la guerre. Pour la France, Hélène Eck montre par exemple la vigueur des luttes partisanes côtoyant la tentative du gouvernement provisoire d’affermir l’autorité de l’Etat sur des organes centraux de l’information comme les agences de presse, la radiodiffusion ou les actualités cinématographiques, médias compromis au service du régime de Vichy.
Le problème se pose aussi dans le camp des fascismes déchus. En Allemagne, la presse se réorganise selon les lignes directrices imposées par les puissances d’occupation. En Italie, l’Institut Luce, organisme d’Etat pour l’information et la propagande cinématographique né en 1925 sous l’égide de Mussolini, est défendu à la Libération par les antifascistes sous le feu de facteurs multiples : positionnement politique, idéaliste ; compétences techniques ; stratégies économiques. Ainsi a survécu l’Institut Luce (Daniela Felisini, Francesca Bozzano)
La mise en récit médiatique de la Libération constitue le troisième axe d’approche et démontre si besoin était qu’il n’existe pas une lectures, mais des lectures, nationales, de la Libération. Ainsi le regard nord-américain sur la Libération de la France (Samir Paul, Hilary Footit) ainsi les récits de la Libération en Italie (Pierre Sorlin). Christian Delporte s’interroge sur « ce qui est effectivement lu, vu et entendu par les Français sur la libération des camps en 1945 » pour saisir la manière dont s’est construit, après 1945, l’imaginaire des camps chez ceux qui n’y avaient pas vécu. Pascale Goetschel démythifie de son côté les « fêtes de la Libération ». Elle met en perspective l’imaginaire collectif qui retient la liesse des bals populaires mise en regard avec les actualités cinématographiques, les magazines illustrés ou les cartes postales… où ne figurent à l’image -à l’exception du 14 juillet 1945- ni grandes fêtes, ni bals populaires (à propos desquels on trouvera cependant des traces dans les journaux, la littérature ou les albums familiaux).
Enfin, les dernières réflexions de ce colloque envisagent en deux temps les contours et les aléas de la mémoire de la Libération : quels enjeux ? quelles représentations ? quels refoulements ?
Côté enjeux, il s’agit dès l’immédiat après-guerre, et plus ou moins durablement, de proposer une image unitaire de la nation. Une préoccupation majeure. A travers l’exemple du journal de Genève, Alain Clavier explique comment et pourquoi la majorité de la presse suisse adopte, dans la décennie suivant la Libération, une attitude de « neutralisation du passé qui s’inscrit parfaitement dans le schéma officiel ».Une position s’impose : « la Suisse a été admirable de courage et si elle n’a pas été envahie, c’est grâce à la volonté de résistance constante de la population et de l’armée, à la fermeté et à l’habilité de ses autorités civiles et militaires »… Elle ne s’écroulera que bien plus tard. Plus au Sud, en Italie, c’est la RAI, la radio publique, qui, entre 1958 et 1965, se charge de réactiver la mémoire de la Résistance (Marilisa Merolla).
Côté représentations, il s’agit de s’interroger tout à la fois sur la façon dont est restituée l’Histoire dans les médias, sur les choix qui en découlent et sur les images devenues icônes de la mémoire collective et de l’imaginaire social. Ainsi, à l’instar des photographies de la descente des Champs-Élysées par De Gaulle le 26 août 1944 (François Audigier) ou de celles de la libération des camps, « certaines images finissent par effacer les autres pour s’élever, par la force de la répétition, au rang de symbole » (Christian Delporte). Le support télévisuel, à partir des années 1960, permet d’aborder les fortunes et les revers de la mémoire de la Libération à travers les commémorations du 8 mai 1945 en France, qui offrent la vision d’une cérémonie essentiellement nationale et patriotique (Patrick Garcia), la désaffection progressive des documentaires sur le sujet à la TV belge (Jocelyn Grégoire), ou encore l’intérêt nouveau, à partir des années 1990,suscité par la réalisation de documentaires tout ou partiellement en couleur puisant dans des images originales jusque là délaissées, ou des images colorisées, c’est-à-dire transformées par rapport au support d’origine (Denis Maréchal).
En somme, la trentaine de contributeurs autorise une approche inédite de la Libération à l’échelle de l’Europe, s’emparant de tous les supports médiatiques, et ouvrant des pistes de recherches nouvelles. Un regret, comme souvent lorsqu’il s’agit d’actes de colloque publiés, l’absence d’outils fort utiles comme un index par entrées thématiques, géographiques ou des acteurs … et l’absence totale d’image, de document visuel dans un ouvrage publié par l’INA et dont le sujet porte sur… les médias.
Les médias et la Libération en Europe 1945-2005 : Table des matières